dimanche 30 juin 2013

LE TEMPS DE L'AVENTURE - Jérôme Bonnell - 2013




Alix (Emmanuelle Devos) est comédienne. Elle a rendez-vous à Paris pour une audition. Elle s'y rend en train.  A peine installée sur son siège, elle croise le regard d'un homme plus âgé (Gabriel Byrne). Un de ces hommes au charme discret et à l'air mélancolique. Leurs yeux deviennent des fenêtres ouvertes sur le désir. Tantôt pudiques, tantôt remplis d'envie ou encore délicatement esquivés,  les coups d'œil que se lancent ces deux-là sèment le trouble. L'homme tente une approche à la fin du voyage demandant à Alix comment se rendre à l'Eglise Ste-Clotilde, mais un voyageur logorrhéique brise cet instant. Chacun part de son côté.







Entre une audition ratée, un compte en banque bloqué, un portable qui rend l'âme et un compagnon injoignable, Alix tente de jongler avec tous ces aléas. Et si finalement elle lâchait prise et décidait de suivre ses sentiments profonds? Elle part retrouver l'homme du train à Ste-Clotilde.


 

Se laisser toucher par la grâce de l'inattendu... voilà ce que propose Jérôme Bonnell dans son dernier film. L'histoire de deux âmes, de la rencontre à l'intimité, presque en temps réel. Bonnell ne souhaitait pas que cette journée particulière soit prétexte à mille et une péripéties. Il prend son temps, laisse l'espace nécessaire à la tension amoureuse de s'installer.

Victimes d'un coup de foudre aussi bien muet qu'immédiat, les deux personnages, qui pensaient être à l'abri de l'imprévu, avoir une capacité de recul face aux évènements, se retrouvent happés par leur sentimentalité. La source d'amour qu'ils pensaient tarie par le quotidien, l'expérience, se trouve brutalement alimentée par une vague d'émotions.




Le fait qu'Alix doive s'exprimer en partie en anglais pour communiquer avec l'homme du train, rend son discours limpide et direct. Elle doit aller à l'essentiel avec le peu de vocabulaire anglophone qu'elle connaît. C'est un petit masque, une composition, qui lui permet d'oser certaines choses, mais en fait, qui lui permet surtout de devenir elle-même. Elle prend enfin sa vie en mains, elle qui ne faisait qu'attendre. Attendre ses cachets qui ne viennent pas, attendre de joindre son compagnon, attendre d'annoncer une nouvelle qu'elle garde pour elle depuis plusieurs semaines. Elle exprime enfin ses désirs intimes et c'est le début d'une nouvelle vie.

Avec ces regards qui se cherchent, ces corps qui s'attirent, ces peaux qui se réclament, Bonnell nous montre l'immédiateté du coup de foudre, la naissance du désir, avec beaucoup de sensibilité et une grande pudeur. Je regrette cependant qu'il n'y ait pas plus de passion. Une telle attirance engendre inévitablement son lot de maladresses - c'est effrayant ce genre de sentiment - mais génère surtout des envies fortes et irrépressibles. Bonnell est resté très sage dans l'illustration de ces deux corps qui trouvent un chemin l'un vers l'autre. Il manque un peu de folie pour véritablement exprimer ce que représente céder à une telle pulsion.



L'humour n'est pas en reste. Distillé subtilement, et lors d'occasions qui nous parlent à tous, il donne un brin de légèreté à ce très beau film. Bonnell termine cette journée extraordinaire en points de suspension... libre à chacun de les interpréter. Et qu'est-ce que c'est beau les points de suspension...




Votre Cinécution

dimanche 2 juin 2013

LA GRANDE BELLEZZA - Paolo Sorrentino - 2013


Jep Gambardella est un sexagénaire au charme certain. Il fut un temps écrivain et remporta même un prix littéraire. Aujourd'hui, journaliste spécialisé dans l'art contemporain et dans les folles qui se projettent contre des murs, nues, il fête ses 65 ans, entourés de tous ses "amis". De l'ex-star de la TV au lifting raté et aux seins vulgairement mis en avant, en passant par l'auteure boostée par le Parti, sans oublier sa rédactrice en cheffe naine, tous sont là pour le fêter, lui, le roi des soirées mondaines romaines. Les gens s'aiment et se détestent cordialement, parfois les deux en même temps. Le champagne coule à flots, les substances illicites circulent comme des petits fours, les langues sont venimeuses. En gros, la représentation du néant et de la superficialité. Alors que le matin même, nous quittions un japonais, tombé raide mort après avoir réalisé un de ses rêves: voir Rome sous le soleil!




Jep, juste après avoir honoré sa conquête du soir, prend soudainement conscience de la vacuité de sa vie. C'est alors avec cynisme et lucidité, qu'il va tenter de retrouver sa "grande beauté". Mais qui ou quoi est-elle? Est-ce Rome? Est-ce son amour de jeunesse qu'il a lamentablement quitté et dont il vient d'apprendre le décès? C'est un retour en arrière pour Jep. Le présent ne l'intéresse plus, l'avenir l'ennuie par avance et le passé n'existe que dans la mélancolie et la nostalgie qui s'emparent de lui.

Il tentera, en vain,  de retourner à ses racines, mais se rendra vite compte qu'elles sont toutes pourries, et qu'il en est le seul responsable.



Voir Rome et mourir... C'est cet adage qui m'est venu à l'esprit à la sortie du cinéma. Oui, ce film m'a donné envie de filer tout droit réserver un billet d'avion et un long week-end,  direction la Ville Éternelle!  Mais c'est là la seule émotion positive qu'il m'a procuré.

D'un ennui mortel, que même de magnifiques plans séquences ne sauvent pas, ce film est surtout la démonstration mégalomane de son réalisateur: Paolo Sorrentino.

Sorrentino, c'est l'homme qui, dès son 2ème film "Les Conséquences de l'Amour" en 2004, voit tous ses films sélectionnés en compétition à Cannes: "L'Ami de la Famille" en 2006, "Il Divo" en 2008, "This must be the Place" en 2011 et cette année, "La Grande Bellezza". Avec le grandiose "Il Divo", il décroche même le Prix du Jury.



Alors qu' "Il Divo" faisait preuve d'audace, "La Grande Bellezza" pue la naphtaline et la vieille tapisserie. Les dialogues pourraient démontrer un certain cynisme, s'ils n'avaient pas déjà été entendus cent fois. La réalisation m'a donné le mal de mer... travellings en avant, en arrière, grues... fallait avoir l'estomac bien accroché. Même certains plans qui se pensaient audacieux sont convenus (je pense à celui où Jep est filmé à l'envers). Bref, c'est faute de goût sur faute de goût, à la limite du vulgaire par moments.



Je n'ai vraiment pas aimé ce film, vous l'aurez compris. Cependant, Toni Servillo campe un Jep convaincant, et les promenades dans Rome,  la nuit,  avec en bonus les visites privées des châteaux de la ville invitent au voyage. Par contre, les flamants roses, la Sainte, la girafe, le cardinal accroc à Masterchef, autant de "trucs" qui tapent sur le système.

Les goûts et les couleurs comme se plaît à lancer Jep au détour d'une conversation qui tourne au vinaigre... Et je ne me lancerai même pas dans l'amalgame que font certains avec "La Dolce Vita" de Fellini, qui n'a en commun avec le Sorrentino que l'errance et Rome. Là s'arrête la comparaison. A vous de voir.




Votre Cinécution

samedi 1 juin 2013

L'ATTENTAT - Ziad Doueiri - 2013


J'ai réfléchi longtemps sur la façon de débuter ce billet. J'avoue ne pas avoir trouvé l'accroche idéale. Probablement parce que ce film ne se résume pas en une phrase. Le sujet est sensible, les personnages complexes, l'histoire bouleversante.

Amine Jaafari est un chirurgien israélien d'origine arabe. Il travaille dans un hôpital de Tel-Aviv et son travail vient d'être récompensé: il est le premier arabe a recevoir un tel prix d'une académie israélienne. Les événements à venir vont complètement bouleverser ses repères.

Une bombe éclate dans un restaurant. Il s'agit d'un attentat kamikaze. Amine va, tout au long de la journée, soigner, opérer, sauver des hommes, des femmes et des enfants. Le soir, de retour chez lui, le téléphone sonne. Il doit retourner à l'hôpital : il s'agit d'une urgence. Il doit identifier le corps de sa femme, soupçonnée d'être à l'origine de l'attentat.




Totalement bouleversé et révolté, Amine ne peut croire pareille accusation. Lorsque peu à peu, les éléments parlent en défaveur de son épouse, il part en Palestine pour essayer de comprendre l'insoutenable. C'est un chemin au cœur du conflit israélo-palestinien qui s'annonce. C'est également une route qui va le mener à lui-même.


Le réalisateur libanais Ziad Doueiri signe un film très émouvant qui s'attache plus à l'humain qu'à la politique,  même si cette dernière est omniprésente, mais sert de "prétexte", si j'ose dire, pour aborder certains thèmes. Connaît-on aussi bien qu'on le croit la personne qui partage notre vie? Quid des non-dits? Et la famille dans tout ça? Quel est son rôle?  Diverses questions qui ne trouveront pas toutes une réponse, mais qui sont néanmoins soulevées. Adaptation très réussie du roman éponyme de Yasmina Kahdra, "L'Attentat" de Doueiri se permet tout de même certaines libertés par rapport au texte original, notamment la fin qui diffère.



Et quel film intelligent! Une parfaite équité de traitement, pas de parti pris: ni dans le casting, ni dans la réalisation, nulle part. Pour moi, une véritable volonté d'apaisement. Pour ce qui est du choix des comédiens, le libanais fait fort: Ali Suliman dans le rôle principal crève une nouvelle fois l'écran. Ce génial acteur arabe israélien, qui personnellement m'avait bouleversée dans "The Last Friday" de Yahya al Abdallah - le film en lui-même m'avait laissé un petit je-ne-sais-quoi d'inachevé -  est remarquable. Il possède un regard magnifiquement expressif et son jeu est tout le temps juste. Bref, il me trouble complètement... Et son épouse Sihem est sublimement incarnée par Reymonde Amsellem, comédienne juive israélienne.



Doueiri, tel un funambule aguerri, reste en équilibre tout le long de son film: quelle maîtrise! C'est en larmes et haletante que je suis arrivée à la fin du film. Un incontournable qui actuellement est interdit au Liban et dans tous les autres pays de la Ligue arabe. Il sortira en Israël cet été.




Votre Cinécution