lundi 30 décembre 2013

LE LOUP DE WALL STREET - Martin Scorsese - 2013


 
Quelle jeunesse et quelle vitalité ! A plus de 70 ans, Martin Scorsese revient en force et en clouant le bec à quelques jeunes prétentieux absolument certains d’avoir inventé le close-up sur l' Alka-Seltzer! Le Loup de Wall Street, c’est une leçon de cinéma. Et pas n’importe lequel, celui de Scorsese.  Après P.T. Anderson et son instantanément culte There will be blood, c’est au tour du réalisateur de Raging Bull de se frotter à son Citizen Kane.  Ascension et chute d’un jeune trader, un self-made man comme on dit, dans l’Amérique de la fin des années 80. Une époque où tout était possible, où l’argent coulait à flot, où les nouvelles entreprises fleurissaient un peu partout dans le monde.

Jordan Belfort (génialissime Di Caprio) en veut ! Son rêve : travailler comme trader à Wall Street. Et il y arrive le bougre. Un jour. Avant que le bureau pour lequel il travaille ne sombre brutalement et ferme boutique. C’est totalement fauchés que son épouse et lui partent s’installer loin de la Big Apple. Jordan pousse alors la porte d’un bureau provincial constitué principalement de « beaufs ». Un bureau qui vivote, mais dont la commission est très élevée : 50% ! Belfort ne tardera pas à devenir le patron et à y créer un lieu incontournable de la bourse.

Son fonctionnement : arnaquer le bas-peuple, extorquer des fonds et se ramasser un maximum d’argent en un minimum de temps. Les gros poissons, ce sera pour plus tard. A grand coup d’enfumage et de technique de vente imparable, Belfort et ses employés font fortune. Pas juste un peu,  non, une fortune colossale et indécente ! Et l’indécence ne prévaut pas seulement sur les comptes en banques, c’est leur vie entière qui sent le stupre et les stups. De véritables orgies sont organisées pour « motiver les gars ». Alcool, sexe, drogues et lancés de nains, tout y passe. Belfort ne tardera pas à éveiller les soupçons du FBI et à chuter plus vite qu’il n’a atteint le pouvoir.
 
 
C’est bien de pouvoir dont il s’agit. De pouvoir et de manipulation. Belfort, du haut de son  nuage de magnat de la bourse, de trafficoteur de devises, d’actions, croit que non seulement tout lui est dû, mais que rien, absolument rien ne peut le faire choir. L’excès de cocaïne rend manifestement naïf. Un excès de confiance dans certains de ses acolytes le mènera à sa perte.

Scorsese filme du Scorsese, en s’auto-caricaturant presque. Il utilise tous les effets qui ont fait de lui un des cinéastes les plus talentueux qui soit. En tant que spectateur, on sourit beaucoup de cela et sincèrement, ça fait un énorme plaisir.
 
 
Le film est cruel et à ne pas mettre devant toutes les mirettes… on s’en prend plein la figure. Des nuages de cocaïne, des fesses en veux-tu en voilà, des seins, des voitures de sport, des cocktails plus ou moins licites, des billets de banque… plein la figure, jusqu’à écœurement. A aucun moment on est capable de ressentir la moindre sympathie pour le personnage de Belfort. Il donnerait même plutôt envie de vomir. On applaudirait presque à sa chute.

Scorsese n’assène aucune morale à son film. Cependant, il prend un malin plaisir à nous montrer, dans un dernier trip fatal, que Belfort ne vaut pas plus qu’un ver de terre. C’est d’ailleurs par terre, rampant, qu’il finira, dans une séquence qui révélera que Leonardo Di Caprio sait vraiment tout jouer  et qu’il bénéficie d’une souplesse insoupçonnée.
 
 
La qualité des seconds rôles est également à mettre en avant, à une exception près : Jean Dujardin. C’est vraiment la fausse note du film. Si le portrait du banquier suisse peu regardant avec la loi est brillamment dressé par Scorsese et Terence Winter, il est cependant interprété de manière tout à fait insupportable par Dujardin. L’acteur, oscarisé pour son rôle dans The Artist – ce qui pour moi restera toujours un mystère – se borne, une fois de plus, à ne jouer QUE du Jean Dujardin. Incapable d’une quelconque générosité, s’entêtant à penser que l’on prend possession d’un rôle en jouant des sourcils, il se regarde jouer et s’écoute réciter. Insupportable. Heureusement, son passage à l’écran dure, en tout et pour tout, moins de dix minutes. Cela ne met donc pas en péril ce film qui dure 2h45 !

Bref, Le Loup de Wall Street, à voir de toute urgence, ne serait-ce que pour se souvenir de ce qu’est vraiment le cinéma.
 
 
ST/ 30.12.2013

mercredi 11 décembre 2013

LA VENUS A LA FOURRURE - Roman Polanski - 2013



Vous rêviez secrètement d’être enfermés dans un théâtre avec la sublime Emmanuelle Seigner ? Son mari, Roman Polanski, vous offre ce cadeau ! 

Thomas (Mathieu Amalric), metteur en scène et auteur, vient de passer une journée complète à auditionner des comédiennes pour la pièce qu’il est en train de monter. Il se plaint au téléphone de n’avoir eu affaire qu’à de mauvaises candidates, dont aucune n’avait l’envergure, le mystère pour incarner l’héroïne principale. C’était sans compter sur l’irruption de Vanda (Emmanuelle Seigner). 

Tout d’abord réfractaire à l’auditionner - elle incarne tout ce qu’il déteste, en étant un peu nunuche, vulgaire et prête à tout - il se retrouve contraint et forcé de lui laisser sa chance. C’est alors que la métamorphose s’opère. Non seulement Vanda porte le même prénom que son héroïne, mais les efforts de la jeune femme – elle a apporté des costumes, connaît toutes les répliques par cœur – sont salués, et en plus, elle semble habitée par le personnage et comprend parfaitement tous les tenants et aboutissants de la pièce. 

L’audition prend un tour surprenant et tout en se prolongeant, se mue en un jeu de séduction qui passe par la domination évidente de Vanda. Thomas est sous l’emprise de cette Vénus plus vraie que nature. Une attraction qui vire rapidement à l’obsession.

 
Adapté d’une pièce de David Ives, elle-même adaptée du livre de Sacher Masoch, La Vénus à la Fourrure est un coup de génie. Placer l’intégralité de l’intrigue, non pas dans une salle de répétitions lambda, mais à l’intérieur d’un théâtre, ça change tout ! Les déplacements entre la scène et la salle, inclus les coulisses, donnent un véritable rythme au film. Les restes du décor du spectacle précédant, La Chevauchée fantastique (en comédie musicale !), notamment d’immenses cactus à l’allure de colonnes antiques, ajoutent un côté sordide à la situation. 


 La psychanalyse a inventé le mot masochisme, en faisant référence aux récits de Sacher Masoch, lesquels présentent souvent des femmes dominatrices ou sadiques. Contrairement au roman de l’auteur autrichien, où il y a une mise en abîme puissante – Confessions d’un suprasensuel  émaillant une bonne partie du récit – le film de Polanski est plus conventionnel dans sa forme. La trame est linéaire et se déroule presque en temps réel. 

Toutefois, l’apparence de Vanda semble, à un moment donné, changée. Sa coiffure, son maquillage... Le film commence alors à distiller un certain trouble. On a le sentiment d’aller vers quelque chose d’irréel et c’est au final ce sentiment qui l’emporte. Les frontières entre Vanda la comédienne et Vanda l’héroïne sont de plus en plus ténues. Les rôles s’inversent, les rapports de force également. 

 
L’érotisme de ce film réside, bien plus que dans le propos, dans la présence quasi mystique d’Emmanuelle Seigner. Attention, je ne suis pas en train de dire que Mathieu Amalric n’est qu’un faire-valoir, non, il est absolument remarquable –comme à son habitude dirais-je - mais la sublime muse de Polanski porte quasi à elle seule ce film jouissif. Tour à tour pétillante, puis séductrice, puis carnassière à l'image d'une déesse vengeresse, elle insuffle une sensualité impressionnante. De plus, à eux deux, ils représentent pratiquement toute la filmographie de Polanski : tout d’abord cette robe qui rappelle Tess, puis ce couteau qui fait remonter le souvenir de Rosemary’s Baby, ou cette scène de maquillage identique à celle de  Françoise Dorléac et Donald Pleasence dans Cul-de-sac, sans oublier la danse finale qui émoustillera son monde en ramenant à celle de Lunes de Fiel.
 
Polanski livre un film insolent, tragi-comique, et au final profondément jubilatoire… et féministe ! « Et le tout Puissant le frappa….Et le livra aux mains d’une Femme »...  tout un programme!


lundi 9 décembre 2013

HENRI - Yolande Moreau - 2013



"Santé, bonheur et pipe à toute heure!"  Vous pensiez avoir affaire à un film convenu et mièvre sur les relations intimes des personnes intellectuellement retardées? Détrompez-vous! Henri est un film sur la renaissance, l'envol et la joie de vivre. 


Henri (Pippo Delbono) et Rita (Lio) sont mariés depuis un peu plus de vingt ans. Ensemble, ils sont à la tête d'un restaurant de village, La Cantina. Métro-boulot-dodo... Installé dans la routine, leur couple s'est émoussé. Ils s'apprécient, se respectent, mais n'ont plus de vie intime. Henri s'évade auprès de ses pigeons voyageurs, rêvant secrètement pouvoir lui aussi, un jour, prendre son envol. 





Lorsque Rita meurt subitement, Henri se retrouve désemparé à devoir gérer le café. Sa fille propose alors de demander l’aide d’un « papillon blanc » : un membre d’une institution pour personne avec déficience mentale. Rosette ( la touchante Candy Ming) entre dans la vie d’Henri. Leurs destins s’en trouvent changés.



Yolande Moreau a campé le décor de son film dans un village des alentours de Charleroi. Une région où bon nombre d’italiens sont venus s’installer après la guerre. Les personnages principaux, de même que les rôles secondaires,  sont tous issus de la classe ouvrière. Henri, avec les années et la lassitude, boit un peu trop de bières avec ses potes de comptoir : Bibi et René. Ils écoutent inlassablement les bulletins météorologiques pour savoir quel sera le moment le plus propice à un lâcher de pigeons. Leurs propos ne sont pas toujours des plus délicats et leurs plaisanteries sont parfois limites. La réalisatrice, et scénariste, a su, avec intelligence, éviter les faux-pas. En montrant les points communs entre Henri, ses amis et les résidents du foyer, notamment leur grivoiserie. Elle met en lumière leurs préoccupations, lesquelles sont universelles : l’amour, le sexe. Chacun à leur façon sont un peu « à part » et peinent à trouver leur place. 

 

La talentueuse belge réussit un tour de force : celui de ne pas dépeindre l’univers des handicapés comme quelques chose de pseudo-poétique ou de mignon. On sourit par moment, pas à leurs dépens, mais avec eux. Parce que oui, ils sont très drôles et Yolande Moreau leur met des mots dans la bouche qui pourraient sans doute choquer certains esprits trop bien-pensants. En cela, le personnage de Rosette exprime la difficulté de vivre en groupe et de concilier ses espoirs. Rosette rêve de normalité : de sexualité, de tendresse, de maternité, de couple. Au-delà de ce grand désir d’indépendance, on constatera toutefois que la jeune femme se retrouve bien démunie lorsqu’elle sera livrée à elle-même. La solitude l’angoisse. Le vent trop fort dans les rideaux la fait paniquer. Ce « papillon », lorsqu’elle rencontre Henri s’avérera être un peu manipulatrice et mythomane. Tout cela pour voir se concrétiser certains de ses désirs de femme. Qui peut l’en blâmer ?

 

Comme avec Quand la mer monte…, Yolande Moreau fait une fois de plus l’économie des mots et privilégie les sons d’ambiance (ici le bruit des battements d’ailes des pigeons, le bruit du réfectoire du foyer ou les paroles de la tante logorrhéique). C’est en images que la belge s’exprime, et avec un talent fou ! Vous allez aimer Henri… j’en fais le pari ! 





En salles dès mercredi 11 décembre 2013.