dimanche 16 août 2015

LA PEAU DOUCE - François Truffaut - 1964

Cela vous est-il déjà arrivé? Avoir une envie irrépressible de revoir un film? C'est exactement ce qui m'est arrivé l'autre soir avec "La Peau Douce" de François Truffaut. Je n'avais qu'une seule envie depuis le milieu d'après-midi : revoir ce bijou, si mal reçu à sa sortie en 1964, tellement boudé, alors qu'il s'agit là d'un film sublime, mystérieux, que l'on pourrait facilement rapproché d'un Hitchcock. Triste aussi, ou plutôt mortifère, mettant en scène la réalité profondément déprimante de l'adultère.
Une voiture file à toute allure en direction de l'aéroport. Les passagers sont inquiets: Pierre arrivera-t-il a prendre son avion pour Lisbonne où il doit aller donner une conférence sur Balzac. Pierre, c'est Pierre Lachenay (Jean Desailly), un écrivain à succès, directeur d'une revue de littérature, qui parcourt l'Europe pour des séances de dédicaces ou pour des conférences. Il est marié et papa d'une petite fille, Sabine. Sa vie est celle d'un bourgeois ordinaire: un mariage qui fonctionne, une "mademoiselle" qui s'occupe de sa fille, un couple d'amis fidèles. Mais ce jour-là, une rencontre dans un avion va changer sa vie. Il croise le regard de Nicole (Françoise Dorléac), hôtesse de l'air. A sa façon de la regarder, on comprend rapidement que les deux seront amenés à se revoir. Chose qui se fera dans l'ascenseur d'un hôtel lisboète.
 
 
Suite à cette rencontre, il y a cette scène que j'affectionne : Pierre arpente le couloir qui le mène à sa chambre et regarde les paires de chaussures qui se trouvent devant les portes. Quelques fois il n'y a qu'une seule paire de chaussures, quelle soient féminines ou masculines, et d'autres fois, il y a deux paires de chaussures, ce qui nous laisse imaginer ce qu'il peut bien se passer dans l'intimité des chambres. Arrivé à sa chambre, Pierre s'empare du téléphone et contacte Nicole. Il s'excuse de son manque de galanterie (il ne l'a pas aidée à porter ses paquets) et il lui propose un verre. Ils se verront le lendemain. C'est le début d'une liaison que l'on pense, au départ, confinée à ce seul voyage . Or, de retour à Paris, il ressent le besoin de la revoir. Leur liaison continue.
 
Très vite, Pierre est invité à Reims pour donner une nouvelle conférence. Il y voit là l'opportunité de passer quelques jours avec Nicole. Malheureusement, les choses ne se passent pas vraiment comme prévu. Nicole se retrouve seule, délaissée, Pierre étant accaparé par ses hôtes et particulièrement par Clément (Daniel Ceccaldi), dont la logorrhée l'empêche de la rejoindre. Ils décident donc de fuir Reims et ses obligations pour rejoindre une auberge de campagne: La Colinière.
Nicole, épuisée, s'étend sur le lit et s'endort... Pierre entreprend alors de la déchausser, de remonter délicatement sa jupe jusqu'au haut des ses cuisses, laissant apparaître des jarretelles. Des effleurements, des caresses, et le bas glisse le long de la jambe de Nicole. Cette scène est d'un érotisme troublant, à la limite du fétichisme. Truffaut aime les femmes, et ça se voit.
 
De retour de leur week-end, Franca (Nelly Benedetti), qui a appris qu'il avait quitté Reims plus vite que prévu, n'est pas dupe. Elle quitte Pierre, non sans l'avoir quelque peu culpabilisé (cela fait deux nuits qu'elle ne dormait plus). Pierre, se sentant soudainement libre, court chez Nicole pour lui annoncer la nouvelle. Mais elle le quittera également.
Truffaut, dont c'est déjà le 9ème film en 1964, après des chefs-d'œuvre tels que "Les 400 coups",
"Tirez sur le Pianiste" ou encore "Jules et Jim", prouve dans ce films à quel point il adule les femmes. Les femmes ont le pouvoir, mais elles n'en perdent pas en féminité, au contraire! Il a cette capacité extraordinaire de sublimer la féminité dans ce qu'elle a de plus fragile, mais également dans ce qu'elle a de plus fort. Franca et Nicole, chacune à leur manière, prennent des décisions en plein jour et les assument jusqu'au bout, complètement conscientes des conséquences de leurs actes.
 

Si vous pensez vous trouver en face d'un nième film sur l'adultère, version vaudeville ou théâtre de boulevard, vous vous trompez lourdement. Ce film est d'un réalisme brutal. La position délicate et douloureuse de la maîtresse est magnifiquement mise en scène. Le couple marié, dans tout ce qu'il peut apporter comme désenchantement, est montré avec une justesse implacable, presque effrayante. Et la lâcheté de Pierre... cette lâcheté qui le fait tenter un retour vers Franca lorsque Nicole le quitte. La peur d'être seul? Sûrement plus que l'amour qu'il porte à son épouse. Il n'y a pas de poésie dans ce film. Oubliez le romantisme de la liaison adultérine avec son train de rendez-vous clandestins, d'acte amoureux dans des hôtels entre midi et deux ou entre cinq et sept... non! Le son du battant d'une grande pendule nous rappelle, que les secondes, les minutes passent , entraînant Pierre inéluctablement vers sa chute.
Au niveau visuel, Truffaut n'a pas peur de rester de longues secondes dans le noir... et d'utiliser la lumière ou l'absence de lumière comme on utiliserait une arme à feu. Stupéfiant!
 

J'écris ces quelques lignes en étant encore sous le coup de l'émotion. C'est un de ces films qui me fait réagir de manière physique: frissons de plaisir, tristesse, tensions, sourires même (notamment grâce au personnage de Clément). La musique n'est pas en reste: elle est composée par Georges Delerue et elle est bouleversante. Probablement mon film préféré de Truffaut ou du moins dans le top 3. Un très très grand film.




ST / 16 août 2015