samedi 8 avril 2017

FIFF 2017 - de l'importance du cinéma...

Le cinéma, au même titre que les livres, la musique, le théâtre ou la peinture, m'a éduquée, m'a ouvert les yeux sur le monde. J'ai appris à travers lui tant de choses. Plus je grandissais, plus je me rendais compte de son importance, de l'impact qu'il pouvait avoir, de son lien étroit avec l'époque à laquelle il était produit, de ce qu'il racontait du pays d'où il provenait. La force du cinéma est telle que de nombreux régimes dictatoriaux l'ont utilisé comme moyen de propagande. Oui, le cinéma est populaire. Oui le cinéma est puissant. Non, le cinéma dit "d'auteur" n'est pas, et ne doit pas, être réservé à une pseudo élite. Contrairement à ce que de nombreuses personnes pensent, nul besoin d'être particulièrement initié pour l'apprécier. Il suffit d'ouvrir les yeux, les oreilles, le cœur. D'être curieux et avide d'apprendre.



Malheureusement, nous sommes dans une société dite de consommation. On consomme, mais on ne réfléchit plus. Nous vivons dans une société où tout doit être rapide, avec des résultats immédiats, le tout en effectuant le moins d'efforts possibles. Oui, réfléchir est un effort. Se positionner, en dehors d'une pensée globale, unique, demande un effort. S'affirmer, en tant qu'individu, et ne pas être bêtement un mouton qui suit le troupeau, demande un effort. Et de cela, nous en sommes de moins en moins capables. Nous prenons de moins en moins de responsabilités, préférant les déléguer à quelques illuminés, guidés uniquement par le goût du pouvoir et l'appât du gain. On ne prend plus le temps, ni de réfléchir, ni de cuisiner, ni d'entretenir les liens sociaux. En gros, on ne prend plus soin de notre humanité.

Albert Camus écrivait :"Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude". Voilà où nous en sommes. Les budgets alloués à la culture, au sens large du terme, s'amenuisent partout. Les programmes scolaires sont de moins en moins fournis au niveau du contenu. Sans vouloir blâmer la jeune génération, ni vouloir parler comme une "vieille conne", la culture générale, notre tronc commun, n'est plus qu'une petite brindille.

Tout ça pour vous dire, que durant cette semaine de festival, l'actualité a fait écho à presque toutes les séances auxquelles j'ai assisté. J'ai vu 35 films et une quinzaine de courts-métrages. A l'issue de presque chaque séance j'avais une alerte média : attaque au gaz en Syrie, attentat à St-Petersbourg, Trump bombarde la Syrie, camion fou à Stockholm... Tout, absolument tout ce que j'ai vu cette semaine résonnait, de près ou de loin, avec l'actualité ou avec l'histoire avec un grand H. A croire que notre humanité a la mémoire courte. Que les erreurs du passé se répètent inlassablement. Que nous sommes incapables d'apprendre des horreurs du passé. J'ai mal à notre humanité. Et je vous assure, bien que j'aie été émerveillée à de nombreuses reprises cette semaine, par la force de certains films, la puissance de certains documentaires, l'audace de certains réalisateurs, le courage d'autres, j'ai été habitée par une tristesse de fond permanente.



A quoi s'attaque-t-on en premier en temps de guerre? A faire disparaître les livres, à brûler les films, à niveler vers le bas l'éducation. Les exemples, ne serait-ce que dans l'histoire contemporaine, sont nombreux. Et j'en viens au documentaire A FLICKERING TRUTH de la néo-zélandaise Pietra Brettkelly.

A FLICKERING TRUTH présente le travail de titan, de toute l'équipe d'Afghan Film pour tenter de sauver le patrimoine cinématographique afghan. Appelé à la rescousse pour cette tâche colossale, et urgente, Ibrahim Arify, un cinéaste afghan en exil en Allemagne, va devoir, non seulement trouver des solutions miracles pour conserver, restaurer, ce qu'il reste du cinéma afghan après le passage destructeur des Talibans, mais également, à travers ce travail, trouver les ressources pour sauver ce qui fait l'identité afghane, sa mémoire.

Ce documentaire est bouleversant. Il mêle des images de vieux films afghans où les femmes pouvaient encore se promener tête nue, à des images plus politiques d'événements majeurs, capturées sur pellicules par des réalisateurs qui ont pris des risques considérables en les tournant. Détruire ce patrimoine, c'est détruire la mémoire, détruire les preuves qu'un autre mode de vie a été possible, et serait vraisemblablement possible.



Par bribes, de façon morcelée, on découvre l'histoire du peuple afghan. On découvre aussi, lorsqu'en toute fin du documentaire certains archivistes de la cinémathèque afghane parcourt les villages en projetant ces archives, que de nombreuses personnes ne se doutaient même pas de l'existence de ces images. Que certains enfants découvrent, fascinés, ce que leur pays a une fois été: libre et joyeux.

Ce documentaire est troublant aussi. Troublant parce que les images sont sublimes. Les pellicules, dans leurs boîtes en fer rouillé, qui gisent sous les gravas, recouvertes de poussière, ont quelque chose de poétique. Les espaces dans lesquels elles sont retrouvées, dont les murs sont transpercés par des impacts de balles, ressemblent à des cathédrales. Les rayons de soleil qui passent à travers tous ces petits trous leurs donnent des allures de vitraux. C'est très troublant, je vous le garantis.

Nous sommes à la veille des élections présidentielles de 2014, Ibrahim Arify repart en Allemagne, son travail accompli, mais sa sécurité n'est plus garantie. Tout a été trié, rangé. Tout est potentiellement sauvé. Mais jusqu'à quand?



Et après, certains politiques de par le monde viennent nous dire que l'art, que la culture, ne sont pas des choses essentielles, pas des produits de première nécessité. Que ce n'est pas grave si on coupe dans les budgets alloués à l'éducation, qu'il est bien plus important d'avoir des armées solides et bien fournies que d'utiliser les ressources financières pour nourrir un peuple. Que ce soit l'estomac ou la tête... sérieusement?

Oui, le cinéma est un des pans essentiels de notre humanité, au même titre que la littérature, la musique, la peinture ou toute autre forme d'art. Oui, le cinéma doit être une source de réflexion, un espace d'expression libre, un outil d'éducation. Oui, le cinéma doit aussi être un lieu de divertissement. Mais pas que.



ST / 8 avril 2017


jeudi 6 avril 2017

FIFF 2017 - il était une fois une douche...

Quels sont vos souvenirs de cinéma les plus marquants? Qu'est-ce qui vous a effrayé?

Personnellement, j'ai été marquée par plusieurs scènes, plusieurs films. La plupart de ces images qui me hantent remontent à des films que j'ai vus enfant. Scarlett O'Hara et son célèbre "taratata" dans AUTANT EN EMPORTE LE VENT, Danny Kaye en bouffon loufoque et maladroit dans THE COURT JESTER, Charlie Chaplin dans LE DICTATEUR, etc... et il y a ces films qui ont généré mes premières vraies angoisses : LES DENTS DE LA MER par exemple. Je l'ai vu très jeune - mon père raffolait de ce film - et il m'a terrorisée. J'ai été tellement effrayée, qu'il m'a fallu longtemps pour oser à nouveau me baigner dans la mer. Je ne me sentais même pas en sécurité dans une piscine, c'est vous dire! Il y aussi DUEL de Spielberg... chaque camion que je croisais était suspect, tout comme CHRISTINE de John Carpenter... Au secours! J'en ai fait des cauchemars!



Naître dans une famille où le père est cinéphile, c'est certes un cadeau, mais parfois, ce cadeau est un peu empoisonné. Mon père raffolait des films d'Hitchcock. Et il avait ses préférences. Parmi elles, LES OISEAUX, FENETRE SUR COUR, PAS DE PRINTEMPS POUR MARNIE, LA MORT AUX TROUSSES... et PSYCHOSE. Voilà... on y arrive. PSYCHOSE. Alors vous, je ne sais pas, mais Hitchcock a rendu plein d'éléments de la vie quotidienne hyper angoissants pour la fillette que j'étais. Encore aujourd'hui je ne suis pas particulièrement rassurée lorsque des mouettes s'excitent un peu en bord de lac... et les premières douches que j'ai prises, seule, dans mon premier appartement, n'ont pas été des plus sereines.

Il était une fois une douche... 78/52, c'est le nom du documentaire qu' Alexandre O. Philippe consacre intégralement à la scène de la douche dans PSYCHOSE. Oui, 1h30 pour nous parler d'une douche. Mais quelle douche! La plus angoissante de l'histoire du cinéma. Celle qui révolutionna le film de genre.



Le tout Hollywood, y compris la fille de Janet Leigh, Jamie Leigh Curtis, se penche sur cette scène d'anthologie. Elle est décortiquée, analysée, racontée... mais pas une seule fois on l'a voit dans son intégralité. Mais on n'en a pas besoin, tant cette scène est dans l'inconscient collectif. Tout un chacun la connaît, connaît les cordes de Bernard Herrmann qui crissent dans les aigus, le cri de Janet Leigh, la silhouette de Norman Bates... Vous commencez à frissonner? Vous avez raison!

Nous sommes en 1960. Les films d'horreur parlent essentiellement de monstres en carton-pâte, de zombies, enfin, de plein de choses qui, objectivement, ne peuvent pas arriver. Cela fait peur, oui, mais cela ne peut pas arriver. Non. Sauf que, notre cher Alfred H., avec PSYCHOSE, décide d'inviter l'horreur dans le quotidien. Dans notre salle de bain. Dans notre intimité. On a presque envie de le traiter de salaud, si ce film n'était pas une merveille!



Revenons au documentaire 78/52. Cette pauvre Janet Leigh, sex symbol de l'époque, se fait sauvagement poignardée, nue, sous sa douche, par un homme qui porte les vêtements de sa mère morte... On est en 1960... la censure fait rage, les films doivent être approuvés, etc... Hitch contourne tout ça avec maestria. Il sait déjà que cette scène va provoquer des émotions. Et pour être certain qu'elle développe tout son potentiel d'horreur, il s'adjoint les services du plus grand graphiste de tout les temps pour réaliser cette scène : Saul Bass.

Bref, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la scène de la douche de PSYHOSE sans jamais oser le demander... tout, vous saurez tout, même quelle sorte de melon reproduit au mieux le bruit du couteau qui transperce la chair.... beurk...

Le documentaire est hypnotique, précis, avec des archives remarquables, rempli d'humour aussi, parce que vous savez qu'Hitchcock avait un don fabuleux pour raconter ses films et que l'humour, noir, était toujours de la partie.



Alexandre O. Philippe n'en finit pas de me surprendre, celui qui nous a déjà compté la vie, et la mort, de Paul le poulpe dans THE LIFE AND TIMES OF PAUL THE PSYCHIC OCTOPUS (!) ou qui nous explique l'émergence de la folie zombie dans la culture pop, ainsi que les moyens de se sauver en cas d'invasion dans DOC OF THE DEAD, propose là un documentaire extraordinaire! Au-delà de la fascination qu'engendre une telle analyse pour la cinéphile que je suis, c'est un vrai document sur l'Amérique du début des années 60, en pleine guerre froide, en plein fantasme de la famille, au début d'une vraie révolution de société, avec l'autorisation de la pilule, etc, etc... On est en plein dans l'histoire avec un grand H. H comme Hitchcock? Peut-être que l'influence du cinéaste a été plus importante que ce que l'on croit et qu'elle a largement dépassé les murs des salles obscures. A voir, donc, sans modération!



Encore une projection dans le cadre du FIFF, le samedi 8 avril à 12:45 au REX 1.


ST / 5 avril 2017

mercredi 5 avril 2017

FIFF 2017 - une compétition surprenante...

5ème jour du festival... les nuits sont définitivement trop courtes! Le café est devenu mon meilleur ami et je fonctionne au radar jusqu'à la première projection de la journée.

Je n'ai pas encore vu tous les films en compétition internationale, mais déjà, je peux dire que certains se dégagent clairement, tant sur le fond que sur la forme.

Je ne reviendrai pas sur OBSCURE de Soudade Kaadan, auquel j'ai déjà consacré une chronique complète. Cela dit, je vous encourage vivement à aller le voir! Il ne nous épargne pas grand chose au niveau émotionnel, mais c'est un film nécessaire qui apporte un éclairage fort sur le traumatisme qu'engendre les situations de guerre chez les enfants, mais également, au travers d'eux, chez les adultes. Clairement pour moi un candidat au prix du public.



Dans les autres films qui font la compétition internationale des longs métrages, deux autres films se dégagent pour le moment : THE STUDENT de Kirill Serebrennikov et DEAREST SISTER de Mattie Do. L'un est l'autre n'ont absolument rien en commun, mais sont, à mon humble avis, des perles dans leur genre respectif.

THE STUDENT tout d'abord. Si je devais le résumer en deux mots: brillant et provocateur! On nage en plein délire mystique. Bien que le film ne s'attache qu'au dogmatisme de l'église orthodoxe russe, le thème est universel et bien entendu applicable à toutes les religions du monde. Ce qui, au regard de l'actualité, résonne particulièrement fort, vous en conviendrez.

Vieniamin est un adolescent un peu perdu. Il vit avec sa mère, divorcée, qui a des relations avec son psychiatre, qui cumule trois jobs pour boucler les fins de mois. Il est à la recherche d'une certaine vérité. D'entrée, le réalisateur, Kirill Serebrennikov nous affiche la couleur: Vieniamin trouve son salut dans la religion. Le jeune homme cite en permanence des versets de la Bible, comme d'autres brandiraient des kalachnikov. La Bible, c'est son arme ultime. Il répond à toutes les situations auxquelles il est confronté en citant le lévitique ou les évangiles. Et n'oublions pas un soupçon d'antisémitisme, lorsqu'il apostrophe sa professeur de biologie, dont le nom a une consonance juive. Cette prof est d'ailleurs la seule qui ose ouvertement s'opposer à Vieniamin. qui remet tout en cause, de la théorie de l'évolution à l'émancipation féminine. En faisant cela, elle se marginalise petit à petit, suscitant même des envies de meurtres chez certains de ses élèves.



Vieniamin se pose en Messie, détenteur de la bonne parole. Mais cela se complique lorsqu'il se retrouve confronté, dans la relation avec son seul "disciple", à l'homosexualité, qui on le sait est fortement condamnée par la Bible. Vieniamin se trouve en proie à des pulsions violentes au-delà de l'imaginable.

L'opposition entre le pouvoir et l'individualité est aussi un des thèmes de ce film. Alors que la direction de l'établissement que fréquente Vieniamin condamne son comportement, mais pas son discours conservateur, la professeur de biologie tente, tant bien que mal, de faire de chaque adolescents des personnalités capables non seulement de discernement, mais également de réflexion personnelle.

De Messie, Vieniamin va devenir martyre... En soi, une fin louable pour toute personne fortement endoctrinée. Cela ne vous rappelle rien? Si si, je suis certaine que vous voyez très bien.

THE STUDENT est un film fort. Certaines séquences sont hautement provocatrices. Mais c'est ce que l'on demande au cinéma, non? Être bousculés dans nos certitudes, incités à la réflexion. THE STUDENT  met également en confrontation le dogmatisme, dans ce qu'il a de plus fou, et la foi, dans ce qu'elle peut avoir de plus noble, pour autant qu'elle soit appliquée dans la mesure du raisonnable. Et en toute honnêteté, raisonnable n'est pas vraiment le mot pour qualifier THE STUDENT. C'est un film hors-normes. Violent. Troublant. Ne le manquez pas!



Autre film , autre univers, mais pas moins intéressant, DEAREST SISTER de Mattie Do. Après la rigueur soviétique, nous voilà plongés dans la moiteur laotienne. Mattie Do est la première femme réalisatrice à tourner ses films entièrement au Laos. L'Asie du sud-est est une région du monde qui apprécie tout particulièrement les histoires de fantômes. Mattie Do ne fait pas exception. Car il s'agit là bien d'une histoire d'esprits pour être plus précise. Et autant vous dire que les esprits laotiens sont particulièrement perfides et manipulateurs.

Nok est une jeune femme qui vit dans un village pauvre et qui, pour s'extraire de la misère, va accepter d'aller prendre soin de sa cousine qui peu à peu perd la vue dans la capitale. Ana, la cousine donc, est mariée à un européen et vit dans une grande maison de haut standing, entourée de plusieurs serviteurs. Aucun d'entre eux n'est fiables d'ailleurs.



Ana est régulièrement sujette à des attaques de panique, lors desquelles elle voit des esprits et marmonne des mots, des chiffres, de façon incohérente. Lorsque Nok réalisera que les épisodes de panique de sa chère "sister" - terme affectueux qu'utilisent les deux protagonistes - vont être pour elle source de revenus inespérés, elle va les provoquer, faire en sorte qu'ils s'intensifient. C'est qu'elle est cupide la petit Nok! Jusqu'où cette relation perverse va-t-elle mener les deux jeunes femmes?

Bienvenue dans un film où la manipulation psychologique montre ses plus terribles travers. Superbement filmé, avec des ambiances grises et bleues relativement anxiogènes, DEAREST SISTER vous fera frissonner avec délice.



ST / 4 avril 2017




mardi 4 avril 2017

FIFF 2017 - ils sont fous ces coréens et Frankenheimer aussi!

Comme beaucoup d'entre vous qui me lisez, vous savez que j'entretiens une relation physique avec le cinéma. Ce n'est pas nouveau, mais ça me surprend à chaque fois lorsque mon corps parle avant ma tête. Et mon corps a beaucoup parlé aujourd'hui! Entre un film sud coréen qui m'a fait frôler la tachycardie et Frankenheimer qui m'a complétement chamboulée, ma journée a ressemblé à une salle de soins intensifs... Heureusement Billy Wilder est arrivé en soirée pour me mettre un masque à oxygène, sinon, je crois que je ne passais pas la nuit.

Donc, MISSING YOU du sud coréen Mo Hong-jin est une bombe! Hormis le fait que j'ai eu envie de traiter le réalisateur de tous les noms d'oiseaux que je connais - ainsi que les programmateurs du FIFF - que j'ai failli rendre mon sandwich, que je suis presque décédée 4 fois durant le film, je dis quand même MERCI! Quel film! Le cinéma sud coréen dans tout ce qu'il a de plus radical. Violent, anxiogène, "straight to the fucking point"! Ils ne font pas de détours, les sud coréens, non, ils veulent te faire flipper, ils vont jusqu'au bout de leurs idées. A toi de te débrouiller pour gérer.... Je ne suis pas certaine d'avoir géré, n'est-ce pas?

Missing You


Le cinéma sud coréen reste une énigme pour moi. Comment font-ils? Ce sont tous des bébés, entendez par-là de tous jeunes réalisateurs qui sortent leur premier film, parfois encore durant leurs études dans les écoles de cinéma, et qui bam, du premier coup, te sortent un film qui te cloue à ton fauteuil. Sérieux?? Vous êtes fous! Mais surtout incroyablement talentueux, audacieux et créatifs! Vous faites du bien au cinéma actuel, je vous jure.

Les personnages sont complexes, avec des psychologies difficilement identifiables d'entrée. Les choses se construisent petit à petit pour éclater dans un final complètement délirant. Les deux derniers films qui m'ont mise dans un état pareil, ce sont LE SILENCE DES AGNEAUX de Jonathan Demme - qui ne date pas d'hier - et KILL LIST de Ben Wheatley. C'est vous dire! Bref, si vous souhaitez vous faire un très bon thriller, MISSING YOU est fait pour vous!



Je survolerai PANIHIDA et BEYOND THE COCONUT TREES, deux courts-métrages auxquels je suis restée totalement hermétique... mais je pense que le sud coréen y est pour quelque chose. Je ne m'en étais pas encore vraiment remise.

Autre choc émotionnel de la journée, mais à un autre niveau, ce fut la projection , rare, très rare, de SECONDS  de John Frankenheimer. Sorti en 1966, ce chef-d'œuvre prépsychédélique a été démonté par la critique lors de sa projection au Festival de Cannes. Frankenheimer a même refusé de sortir de sa chambre d'hôtel pour se rendre à la conférence de presse. C'est vous dire!

Seconds


Quasiment invisible depuis sa sortie en 1966, ce film, fantasme de nombreux cinéphiles, a été exhumé par Thierry Frémaux qui l'a selectionné pour Cannes Classics en 2014. Le film a été restauré, superbement, et projeté. Succès! Une seconde vie pour ce film délirant, comme une ironie du sort pour celui qui dénonce le "toujours plus, toujours mieux, quel qu'en soit le prix".

SECONDS bouleverse et déstabilise. D'une part sa réalisation. Frankenheimer, explore, innove. Frankenheimer est terriblement en avance sur son époque, ce qui lui a certainement valu d'être rejeté par la critique. On n'avait jamais vu ça avant. SECONDS est un film allégorique. L'histoire d'un homme désabusé qui, bien qu'il ait matériellement réussi sa vie, a tout foiré: avec sa femme, subsiste une entente cordiale, avec sa fille une relation à distance, quant au désir physique, sexuel, néant. Il n'y a  plus rien. Jusqu'au jour où on vient lui proposer de changer de vie. Tel un phénix, mourir et renaître de ses cendres en version 2.0, améliorée, en adéquation totale avec ses désirs. Le paradis? Que nenni! L'enfer! Et d'autre part, en utilisant, à contre-emploi, un des sex-symbols de l'époque, Rock Hudson qui peut montrer toute l'étendue de son talent.

Seconds


Frankenheimer prend un malin plaisir à démonter le concept de rêve américain: tout est possible? Oui, mais à quel prix? Il y a des ambiances follement hippies, retour aux sources originelles, relation libérée au corps et à la sexualité. J'en veux pour preuve cette scène orgiaque délirante, mêlant, danse, corps nus et vins... Bacchus ne l'aurait pas reniée! Et quel pessimisme! On est foutu, sachez-le! Mais vraiment. Il n'y a pas d'option, l'humain court à sa perte.

Il y a plus de 50 ans que ce film a été réalisé et il est, à l'image d'un 1984 de Georges Orwell, d'une anticipation affolante. Il y a du Kafka aussi dedans : l'homme est un cancrelat... Merci  John de nous remonter le moral... On se prend un verre et je te colle une bise. Ok, on fait ça?



Autant vous dire qu'après la projection de SECONDS j'ai eu besoin d'une pause. Mais genre la vraie pause. 2 heures... truc impensable dans mon programme millimétré de cinéphile cinéphage... mais je n'en pouvais plus. J'étais habitée par une telle tristesse, par un tel vide, qu'il était absolument impensable d'absorber un autre film directement après.

Puis j'ai retrouvé Billy Wilder, au sommet de son art : THE APARTMENT. Comme une tentative de réconciliation avec le genre humain.  Pas tout de suite, après 2 heures de film. THE APARTMENT  est un pur régal. C.C.Baxter, dit Buddy, est employé d'une grande compagnie d'assurance. Célibataire, il souhaite gravir les échelons. Il prête donc son appartement à plusieurs de ses supérieurs, pour viser la promotion. Tout se passe comme sur des roulettes, jusqu'à ce que son patron s'entiche de la délicieuse, et naïve, jeune femme de l'ascenseur. Buddy a aussi craqué pour elle.

The Apartment


Wilder venait de tourner SOME LIKE IT HOT, avec déjà Jack Lemmon que l'on retrouve dans le rôle principal de THE APARTMENT. Wilder avait raté de peu l'Oscar, qui ne lui échappa pas avec ce nouveau projet. Une des forces de ce film, c'est "Monsieur-tout-le-monde" incarné par Jack Lemmon, auquel chaque spectateur peut s'identifier. Avide de pouvoir, de réussite sociale aussi bien que personnelle, Buddy fait toutes les concessions nécessaires pour atteindre ses objectifs, en mettant tout de même un peu de côté son humanité. Cela dit, cette humanité se révèle petit à petit et Buddy prendra des décisions qui, si elles ne lui assurent plus un avenir aussi brillant au sein de la compagnie d'assurance, vont faire de lui un "mensch" au sens philosophique du terme: adéquation entre esprit et cerveau. C'était donc la minute de philosophie anthropologique. De rien. Je vous en prie.


The Apartment


Buddy, dont la délicatesse et la sensibilité vont peu à peu prendre le dessus, va venir en aide à la naïve et désespérée Miss Kubelic - radieuse Shirley MacLaine - la protégeant tant bien que mal des assauts de son patron.

Wilder utilise la satyre pour démonter aussi, à sa façon, le rêve américain. C'est un exilé, ne l'oublions pas. Il représente tout ce qui peut exprimer la solitude: les grands espaces de travail où les bureaux s'alignent et où les personnes ne communiquent pas - 2 ans plus tard, on retrouve cette représentation chez Orson Welles et sa sublime adaptation du PROCES de Kafka - et l'appartement de Buddy où tout le monde se rencontre, mais ne se croise jamais. La solitude, bon sang, cette fichue solitude qui te fait des gueules de carême comme le dirait Barbara.

Chef d'œuvre de la comédie sociale, bourré de tendresse, d'humour, surfant sur un fond de mélancolie, THE APARTMENT offre à Jack Lemmon peut-être son plus beau rôle. Du moins le rôle où il peut montrer toutes les facettes de son jeu. Un bijou.



ST / 3 avril 2017


lundi 3 avril 2017

FIFF 2017 - petits fantômes...

Je me suis levée ce matin avec toujours ces deux regards d'enfants, ceux d'Ahmad et Batul, qui me hantaient. Une profonde tristesse dans l'âme et un programme qui s'annonçait chargé. J'ai eu envie de tout chambouler. Envie d'entendre des rires d'enfants. De voir des regards émerveillés. Du coup, un drap blanc sous le coude, je suis partie à la découverte d'une section du FIFF qui m'était, jusque-là, restée inconnue: FIFFamille. Un programme spécial concocté pour que tous petits et grands puissent bénéficier d'une séance en famille. Et je ne regrette pas! Je crois même d'ailleurs que cela pourrait devenir une habitude dans les années à venir.

Dip Dap et le petit Fantôme


Ne vous y trompez pas: une séance de FIFFamille, c'est aussi animé qu'une séance de minuit chez les grands! Une vraie fourmilière! "Papa, dépêche-toi, ça va commencer!", "Oh, tu as vu le fantôme!", "Il est bête!". Comme chez les grands, les petits "spectacteurs" interpellent les protagonistes, expriment leurs émotions au moment même où elles apparaissent... Et ça rigole! Un bien fou, je vous dis!

La Maison en petits Cubes


"Histoires de petits Fantômes", 50 minutes, 7 courts-métrages. Les petits sont très silencieux lorsqu'ils découvrent l'histoire de Nicolas qui est persuadé que sa grand-maman ira sur la lune après sa mort et qui fera tout pour tenter de la rejoindre dans le très délicat A JOURNEY TO THE MOON de Sandra Reyer Sotomayor. Rient aux éclats lorsque Dip Dap trouve un ami fantôme qui a peur de tout dans DIP DAP ET LE PETIT FANTOME  de Steve Roberts ou lorsqu'un fantôme s'évertue de faire peur à une fillette qui se moque de lui dans GHOST HOUR de Nils Skapans. Puis on sent l'interrogation.

The Shadow that turned into Light


Le silence s'installe à nouveau lorsqu'un vieil homme plonge au cœur de sa maison, à la recherche des personnes de son passé dans le superbe LA MAISON EN PETITS CUBES  de Kunio Kato. Et on sent la fascination à la découverte de THE SHADOW THAT TURNED INTO LIGHT de l'iranien Nazanin Sobhan Sarbandi, alors que l'ombre d'un marionnettiste tente de prendre son indépendance. Sans oublier Georges Mélies, papa des effets spéciaux!





A l'issue de la projection, je suis partie à la traque aux petits fantômes. 4 enfants ont accepté de répondre à quelques questions. Florian, Agathe, Isaac et Arthur nous parlent de fantômes...



Florian, 7 ans
Florian, 7 ans

"Un fantôme, c'est un esprit imaginaire. Un esprit qui se déguise. Il y en a des gentils et des méchants. Les méchants font peur et les gentils font rire. Ce que j'ai aimé dans ces dessins animés, c'est que ça expliquait que les fantômes pouvaient être différents du fantôme qu'on voit toujours, celui qui est blanc, qu'ils pouvaient être visibles ou invisibles. J'ai eu peur une seule fois, quand on a vu l'affiche avec les yeux jaunes. Non, je ne crois pas aux fantômes. Les fantômes, c'est seulement quand on se déguise."









Isaac, 4 ans
Isaac, 4 ans (sur un bloc)

"Oui, je crois aux fantômes! Je pense que les fantômes sont toujours gentils. Non, je n'ai pas peur. Les fantômes viennent juste dire bonjour. Non, ma maman ne me raconte pas d'histoires de fantômes. Les fantômes sont toujours blancs"
























Arthur, 8 1/2 ans


Arthur, 8 1/2 ans


"Non, je ne crois pas aux fantômes. De toute façon, un fantôme, c'est toujours invisible! Non, je n'ai pas peur. J'ai bien aimé les films, surtout le dernier, quand c'est l'ombre qui voulait en faire qu'à sa tête. Je n'ai pas eu peur. Non, mes parents ne racontent jamais d'histoires de fantômes." et le papa de dire "Il existe plein d'autres histoires!"












Agathe, 5 ans



Agathe, 5 ans


"Non, je n'ai pas eu peur." Après quelques instants d'hésitation : "Je ne crois pas au fantômes". Agathe, a été la plus timide des petits fantômes. On sentait qu'elle se posait plein de questions auxquelles elle n'avait pas encore de réponses.


















Certains des enfants présents dans la salle venaient pour la première fois au cinéma. La salle était en effervescence. La grande cinéphile que je suis ne peut que leur souhaiter de conserver cet émerveillement, de garder la fascination qu'exerce le grand écran, l'ambiance d'une salle de cinéma et de continuer à développer cette curiosité sur le monde et la perception qui diffère, sur un même sujet, aux quatre coins de la planète. Et si on en faisait des citoyens du monde?


ST/ 2 avril 2017

dimanche 2 avril 2017

FIFF 2017 - une histoire de regards

Il y a des films qui marquent plus que d'autres. Lorsqu'ils collent à l'actualité et touchent au plus profond de notre humanité, encore plus. C'est le cas d'OBSCURE de la réalisatrice Soudade Kaadan. Syrienne d'origine, née en France, elle a étudié au Liban. Elle a déjà produit et réalisé de nombreux documentaires notamment pour le Haut Commissariat aux réfugiés ou l'UNICEF.


Ce documentaire bouleversant nous permet de passer du temps avec Ahmad. Un jeune garçon qui ne veut pas se souvenir qu'il est syrien. Traumatisé par la guerre, il préfère se murer dans le silence et le sommeil. Oublier l'horreur, échapper à la réalité, avec ses armes d'enfant. On y croise aussi Batul, fillette qui a vu un homme se faire décapiter sous ses yeux et qui, lorsqu'elle parle de cet épisode semble comme déconnectée d'elle-même. Gros plan sur le visage de cette fillette lorsqu'elle évoque l'insoutenable. Son innocence a jamais détruite, perdue. J'en ai eu le cœur brisé.




Obscure - Soudade Kaadan

Lorsqu'elle évoque son film, Soudade Kaadan dit: "Je ne voulais pas faire un film sur Ahmad. Je voulais faire un film sur les enfants traumatisés par la guerre et qui ont des histoires incroyables à raconter. Mais Ahmad est muet. La première fois que je l'ai rencontré, j'ai passé 30 minutes avec lui et la seule phrase qu'il a prononcée est "je m'appelle Ahmad". Je n'ai jamais pu l'oublier. Chaque jour, dans chaque activité que j'entreprenais, je le revoyais. Comme s'il attendait que je revienne. Et je suis revenue. Le silence d'Ahmad, c'est mon histoire."


Profondément humain, réalisé avec pudeur et justesse, OBSCURE m'a bouleversée. Je me suis réfugiée à la sortie du film, à l'abri des regards, pour pleurer. Aucun des films que j'ai vu ensuite dans la journée n'a réussi à me faire oublier le regard de Batul, le silence d'Ahmad. Avec eux, ce sont les visages de milliers d'enfants touchés par la guerre à travers le monde qui défilaient devant mes yeux. Ces enfants traumatisés, dont les rêves, s'ils en ont encore, porteront à jamais l'odeur du sang. Que peut-on leur souhaiter, si ce n'est une résilience au-delà de l'imaginable? Comment rendre l'insouciance, qui devrait faire partie intégrante de l'enfance, à ces petits êtres? Ces questions sans réponses sont quasi insoutenables pour l'adulte privilégiée que je suis. Quelle impuissance!











Oui, je pourrais vous parler DES DEMONS de Philippe Lesage, et vous dire que je n'ai pas particulièrement apprécié ce film. Que l'emploi de la musique y est surfait et inapproprié. Que le formalisme de certaines scènes m'a profondément ennuyée. Que je ne retiendrai qu'une scène de dispute conjugale formidablement chorégraphiée. Que l'ombre de Xavier Dolan, dans ce qu'elle est a de plus sombre, flotte au-dessus de ce film.






Les Démons - Philippe Lesage


Je pourrais aussi vous dire que KATI KATI de Mbithi Masya est un petit bijou qui donne chair au purgatoire de Dante. Que des âme s'y côtoient, se battant chacune avec leurs démons, tentant tant bien que mal de faire la paix avec leur passé pour aller là où le repos, selon les croyances de chacun, devrait être éternel.






Kati Kati - Mbithi Masya 
Je pourrais aussi vous parler  de la fabuleuse Masterclass de Douglas Kennedy, où l'auteur a une fois de plus brillé non seulement par son immense culture, mais également par son humanité et sa philosophie.

Oui, je pourrais faire tout ça. Mais je ne peux pas. J'ai surtout envie de vous laisser avec le regard de Batul et d'Ahmad. Vous laisser avec ces questions qui me hantent, qui nous hantent. Comment peut-on, à notre échelle, éviter que des enfants souffrent à ce point?

ST/1er avril 2017